
Le collectif Ministry of Privacy vient de lancer une campagne de financement participatif pour introduire une requête en annulation contre le projet de datamining bancaire porté par le gouvernement. Ce dispositif, qualifié de Money Control, permettrait à l’État d’analyser de manière automatisée et massive les données financières de l’ensemble des citoyens.
Une nouvelle frontière de la surveillance numérique
Le projet surnommé « Money Control » marque une étape inédite dans l’usage du numérique par l’État belge. Il ne s’agit plus de contrôles ciblés fondés sur des soupçons précis, mais d’une analyse automatisée et massive des données financières de l’ensemble de la population : comptes bancaires, comptes titres, cryptomonnaies, prêts et contrats financiers.
Cette évolution soulève une question fondamentale : jusqu’où une démocratie peut-elle aller dans l’usage des technologies de surveillance sans remettre en cause ses propres principes ?
Une fracture numérique entre citoyens et institutions
La fracture numérique ne se limite pas à l’accès à Internet ou aux compétences digitales. Elle apparaît aussi lorsque la technologie devient un outil de déséquilibre entre le citoyen et l’État.
Dans le cas de Money Control, le citoyen ordinaire se retrouve confronté à :
- des traitements algorithmiques invisibles,
- des critères de suspicion inconnus,
- des systèmes qu’il ne peut ni comprendre ni contester facilement.
Cette asymétrie technologique crée une rupture profonde : l’État voit tout, le citoyen ne voit rien.
Quand la présomption d’innocence devient une variable algorithmique
L’un des points les plus préoccupants du projet est le renversement implicite de la logique juridique traditionnelle. Dans un État de droit, une enquête commence par un soupçon motivé. Ici, la logique est inversée : l’analyse précède le soupçon.
Chaque transaction devient potentiellement suspecte non pas en raison d’un acte répréhensible, mais parce qu’un algorithme y décèle une anomalie statistique. Le citoyen doit alors se justifier face à une machine dont il ignore le fonctionnement.
Cette approche transforme la présomption d’innocence en simple paramètre technique.
L’illusion de la neutralité technologique
Le discours officiel repose souvent sur un argument trompeur : la neutralité de la technologie. Or, un algorithme n’est jamais neutre. Il reflète :
- les choix politiques de ses concepteurs,
- les données qu’on lui fournit,
- les biais statistiques qu’il amplifie.
Les précédents européens, notamment aux Pays-Bas, ont montré que ces systèmes peuvent produire des erreurs massives, des discriminations indirectes et des drames humains bien réels.
Vie privée et données financières : une ligne rouge démocratique
Les données financières font partie des informations les plus sensibles qu’un citoyen puisse confier à l’État. Elles révèlent non seulement des revenus, mais aussi des modes de vie, des choix personnels, des fragilités.
Une surveillance permanente et automatisée de ces données dépasse largement la lutte contre la fraude. Elle installe une logique de contrôle continu incompatible avec le principe de proportionnalité, pourtant central dans le droit européen et belge.
L’alerte venue du monde politique
Fait suffisamment rare pour être souligné, des responsables politiques issus de la majorité ont publiquement exprimé leur opposition à ce dispositif. En soutenant l’initiative citoyenne « Stop Money Control », ils rappellent que la discipline de parti ne peut justifier l’abandon des libertés fondamentales.
Cette prise de position illustre une autre fracture : celle entre une fascination pour les solutions technologiques et la nécessité de préserver les fondements démocratiques.
Une question citoyenne avant d’être technique
Le débat autour de Money Control n’est pas un débat réservé aux experts, aux fiscalistes ou aux informaticiens. Il concerne directement chaque citoyen.
Accepter que des algorithmes analysent en permanence nos comportements financiers, sans transparence ni contrôle effectif, revient à normaliser une société de la suspicion. Une société où la confiance est remplacée par le calcul et où la technologie devient un outil de pouvoir plutôt qu’un service public.
Repenser le numérique au service de la démocratie
La lutte contre la fraude fiscale est légitime et nécessaire. Mais elle ne peut se faire au prix d’une surveillance généralisée qui fragilise la vie privée et la présomption d’innocence.
Le numérique doit rester un outil au service des citoyens, non un mécanisme de contrôle permanent. Refuser certaines technologies n’est pas être technophobe : c’est parfois faire preuve de lucidité démocratique.
La véritable fracture numérique commence lorsque l’on oublie que la technologie n’a de sens que si elle respecte l’humain.